C’était à une époque où les jeux vidéos n’existaient pas, ni la télévision, ni le téléphone, ni la voiture, ni même la bicyclette !
C‘était une époque où la seule manière de s’amuser était d’attendre la venue d’une troupe de troubadours au sein du village.
Et parfois même dans cette troupe se trouvait une attraction particulière : une diseuse de bonne aventure !
Oh bien sûr, tout le monde savait que cette femme ne lisait absolument pas l’avenir ! On allait surtout la voir pour se rassurer ! D’ailleurs le prêtre du village veillait scrupuleusement à ce que rien de ce qui était dit aux ouailles de sa paroisse ne dépasse le simple conseil de bon sens. C’est que la chasse aux sorcières était encore d’actualité à cette époque ! Ainsi les femmes venaient se faire prédire une vie heureuse et pleine d’enfants juste avant leur mariage. Tandis que les hommes demandaient surtout si les récoltes allaient être abondantes et leurs affaires juteuses…
Et c’est justement avant le mariage de sa fille que Dame Léonilde osa demander conseil à l’une de ces voyantes de passage. Or lorsqu’elle entra dans la tente, personne n’était présent pour l’accueillir. Elle se permit donc de s’asseoir sur une petite chaise face à une table couverte d’un drap de velours violet foncé. Bien sûr elle remarqua tout de suite l’objet rond enveloppé dans un bout de tissu orange posé juste devant elle. Mais elle se garda bien d’y toucher.
Cependant les minutes passant sans que la voyante ne se manifeste, son attention se fixa de plus en plus sur le mystérieux objet emballé.
Et lorsque les minutes se transformèrent en une heure, cet objet caché devint son obsession.
Finalement à bout de patience, elle osa prendre en main l’accessoire et lui retirer son cache.
Mais ce qu’elle découvrit alors était tellement extraordinaire, tellement invraisemblable que cette révélation resterait gravée dans sa mémoire jusqu’à la fin de sa vie…
Car ce que cet objet lui montrait, c’était le visage animé de sa mère au début de sa maturité. Ce qui était proprement impossible
puisque cette dernière avait rejoint brusquement le paradis depuis plus de 5 ans, lorsque la fièvre de l’hiver avait fini par l’emporter ! Et dame Léonilde regrettait intensément de n’avoir pu lui faire ses adieux et lui dire combien elle l’aimait.
Or voilà que l’opportunité lui en était offerte ! Et elle l’accueillit avec joie. C’est pourquoi elle lui parla et lui parla encore, tandis que sa mère muette pleurait de concert avec elle tout en écoutant les douces paroles. Finalement, au terme de ces confidences, le visage de la disparue dans l’objet reflétait autant de soulagement que celui de Dame Léonilde.
Un peu honteuse de s’être épanchée ainsi et soudainement consciente du temps qui avait filé, cette dernière remis hâtivement l’objet dans le cache de tissu et se hâta de rentrer chez elle.
Mais l’envie de revoir le visage de sa mère se fit pressante et dès le lendemain matin, elle ne put résister à l’envie de retourner dans la tente de la voyante. Ce qu’elle fit aussi le jour suivant…et le jour encore d’après…
Or son mari se rendant compte de ses allers-venues dans la tente d’une inconnue lui demanda des comptes.
« – Qu’est ce qui peut bien t’attirer tous les jours dans cet antre ? » : s’indigna t’il.
Bien que consciente que son histoire pouvait paraître étrange, Dame Léonilde raconta à son mari toute son aventure, pour finalement conclure que « jamais elle n’avait eu des échanges d’une telle complicité avec sa mère de son vivant, même si celle-ci ne parlait pas au travers de l’objet rond de la voyante ».
Au premier abord, le brave mari crut à une mascarade habilement montée par la nomade et il se moqua gentiment de sa femme.
Mais la curiosité, bien que faisant partie des 7 péchés capitaux, se révéla la plus forte et il se décida à vérifier de visu comment sa femme, qui pourtant avait bien les 2 pieds sur terre, avait pu se laisser convaincre par ce qu’il pensait être un grossier stratagème…
Donc, dès le lendemain, Sieur Augustin se présenta devant la tente de la voyante, qui le reçut tous sourires. Peu réceptif aux courbettes de la nomade, il demanda tout de go à voir le fameux objet rond. Ce que lui présenta obligeamment la devineresse, moyennant quelques pièces sonnantes et trébuchantes.
Mais ce qu’il découvrit alors était tellement extraordinaire, tellement invraisemblable que cette révélation resterait gravée dans sa mémoire jusqu’à la fin de sa vie…
Car ce que l’objet lui renvoya, c’était le visage de son frère, partit dans un autre village pour marier l’unique fille du forgeron. Aucun doute à ce sujet, c’était bien lui avec son nez de travers si caractéristique de la famille, ses yeux bleus foncés si semblables aux siens et cette barbichette qu’il s’était laissé pousser, certainement pour ressembler à son frère ainé. Après toutes ses années sans se parler, quelle aubaine de pouvoir enfin partager des nouvelles… même s il trouvait que son frère était bien peu causant.
Au terme de son monologue, surpris et émerveillé, Sieur Augustin se précipita à l’auberge du village pour raconter son histoire…qui parvint par le bouche à oreille jusqu’au curé du village.
Ce dernier, petit homme au visage rébarbatif, aux yeux porcins et à l’esprit aussi fermé qu une des portes de la prison du donjon du Seigneur du domaine, se précipita séance tenante dans la tente de la voyante.
L’objet rond était bien posé sur la table, caché dans son tissu orange. Et c’est d’un geste rageur qu’il l’arracha à sa cache.
Mais ce qu’il découvrit alors était tellement extraordinaire, tellement invraisemblable que cette révélation resterait gravée dans sa mémoire jusqu’à la fin de sa vie…
Car ce que l’objet lui renvoya, c’était le visage… du DIABLE !!!!!!
Inutile de vous préciser que c’est sur le bucher que termina la voyante, décrétée sorcière de son vivant et suppôt du Malin….
Quand à l’objet rond maléfique, importé de Venise par la nomade, il fut décrété « Artefact du Diable » et détruit lui aussi par le feu.
La morale de cette histoire pourrait trouver sa source
dans l’une des phrases du célèbre philosophe grec Héraclite :
« Tout le malheur des hommes vient
de ce qu’ils ne vivent pas dans LE monde,
mais dans LEUR monde »
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