J’étais assise depuis 20mn à une terrasse de café que j’avais déjà entendu ce terme 4 fois. Que ce soit l’employé qui raconte la manière dont le traite son patron, ou de la femme qui subit la mauvaise humeur de son mari le soir, ou de la mère qui raconte les punitions un peu trop sévères de sa fille et de son gendre envers l’un des enfants, tout le monde semblait en parler… Serait-ce un effet de mode ou de société ?
Mais d’abord, définissons ce qu’est un bouc émissaire ! Il s’agit d’une personne ou d’un groupe sur lequel on fait retomber les torts des autres. Et dans l’incapacité de se défendre ou de se rebeller parce que trop vulnérable, ce souffre-douleur va endosser sans protester la responsabilité personnelle ou collective qu’on lui impute.
Déjà dans la Grèce antique, les Athéniens utilisaient des boucs émissaires !
Ils parquaient dans des caves des esclaves, qu’ils entretenaient toute l’année. Et quand survenait une calamité, comme une sécheresse, une famine, une épidémie ou même une stérilité, ils choisissaient un homme et une femme et les faisaient défiler dans les rues de la ville. Les habitants en profitaient pour les insulter, leur donner des coups, leur cracher dessus, leur lancer tout un tas d’immondices. Ce qui permettait à tout ce « noble » monde de rejeter sur ces victimes les maux qui les accablaient. Ensuite, les esclaves étaient mis à mort, emportant avec eux les problèmes de la communauté.
Heureusement que dans notre société civilisée, ces coutumes n’ont plus cours grâce aux droits de l’homme ! Et pourtant…
Si ces comportements sont éradiqués de la visibilité sociale, qu’en subsiste t’il dans les tréfonds de notre inconscient ?
En fait, tout est de la faute à notre besoin de contrôle sur notre environnement ! Car lorsque nous nous sentons attaqués par une personne ou dépassés par un événement et que nous ne pouvons y répondre, nous avons besoin de trouver des stratégies de défense pour comprendre et simplifier la réalité. Et elles se déclinent sous 3 modes : le regroupement grégaire, l’agressivité et la recherche d’un bouc émissaire.
Cette simplification, c’est ce que le psychologue américain Allport définit comme « la capacité à maintenir une perception du monde comme étant stable, ordonnée et prévisible, plutôt que chaotique ou dangereuse ou frustrante en reportant nos peurs et notre colère sur une victime innocente (individu ou groupe) ».
Il ne fait donc pas bon se trouver sur le chemin d’un mari qui veut se défouler d’un conflit vécu au travail ou de faire partie de la communauté juive pendant la 2eme guerre mondiale.
Or le bouc émissaire n’est pas tiré au hasard ! Pour remporter le rôle, il doit posséder des qualités victimaires… Par exemple,
- savoir se sacrifier pour autrui en prenant son mal et sa colère sur lui (manque d’estime de soi ou manque de maturité)
- avoir des difficultés à s’affirmer (manque de confiance en soi)
- craindre les conflits et avoir peur d’y répondre
- être décalé par rapport au groupe pour pouvoir être sacrifié sans que l’on puisse s’identifier à lui et éprouver de la compassion (être trop gentil, avoir un surpoids, posséder une certaine innocence…)
- mais il faut aussi qu’il soit suffisamment proche du groupe pour qu’il y ait projection des « fautes » sur lui.
C’est ainsi que dans certaines familles dysfonctionnelles, le recours à un bouc émissaire peut constituer un moyen pour conserver l’unité familiale, lorsque les tensions sont fortes ou que les moyens pour les gérer sont peu efficaces. Les membres de la famille rejettent alors le blâme sur l’un d’eux, généralement l’enfant le plus turbulent ou qui a la personnalité la plus éloignée de celle du groupe. La focalisation sur ce jeune permet à la famille de maintenir pendant un moment une stabilité familiale. Malheureusement ce fonctionnement perturbera gravement le développement émotionnel de cet enfant, qui subira toute sa vie les conséquences de cette exclusion forcée.
Comme on peut le constater, le bouc émissaire a un lien étroit avec nos émotions les plus enfouies, dont l’expression de la frustration, la manque de contrôle, la peur de l’imprévu et la gestion de la colère. Et la projection victimaire a encore de beaux jours devant elle. Comme le disait Arthur Dwight : « Il y a deux périls pour l’esprit : mésestimer les complexités de la nature humaine et s’en délester sur plus faible que soi… »
Mais peut-être qu’une prise de conscience collective, associée à plus d’humanité dans les différentes institutions de notre société, parviendrait à d’avantage de tolérance et moins de projection sur des innocents… A méditer !
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